Le cas Seunghan (RIIZE) met en lumière les travers de l’industrie K-Pop

par Lucile TD
De gauche à droite : Sungchan, Seunghan, Sohee, Wonbin, Shotaro, Eunseok et Anton ©SM Entertainment

On l’adore mais on en vient parfois à la détester. Sous le feu des projecteurs depuis les années 2000 à l’international, la K-Pop est aujourd’hui une des industries musicales les plus suivies et les plus puissantes au monde. Avec ses dizaines d’artistes qui débutent chaque année dans cette compétition d’envergure, et avec une pression toujours plus grande de la part des auditeurs et des maisons de disques, la K-Pop reste malgré tout un milieu obscur pour le grand public. Pour comprendre le plus grand scandale médiatique du moment dans la musique coréenne, il faut en avoir les codes… On vous explique. 

RIIZE vers les sommets

Le groupe RIIZE est lancé par SM Entertainment en septembre 2023 avec le single Get A Guitar, après quelques mois de pré-débuts déjà remarqués sur les réseaux sociaux grâce aux titres Siren et Memories. Et son lancement est un événement de taille, puisque RIIZE est le premier groupe K-Pop non issu d’un survival (NdlR : émission où entrent en compétition des aspirants artistes dans l’espoir de faire carrière) à tirer son premier opus à plus d’un million d’exemplaire. Ce n’est pas rien.

Le groupe est composé des membres Shotaro, Eunseok, Sungchan, Wonbin, Seunghan, Sohee et Anton, et le postulat est clair pour Wizard Production, la filiale de SM Entertainment qui le produit : RIIZE est voué à une carrière internationale. Autant dire que les ambitions sont grandes alors que son boy group prédécesseur NCT (dont ont d’ailleurs fait partie Shotaro et Sungchan de 2020 à 2023) réunit déjà des membres de huit nationalités différentes. Les attentes sont fortes, et les enjeux aussi.

Un morceau après l’autre, et ce dès ses pré-débuts, RIIZE s’est imposé dans les charts. Fin 2023, il figure déjà parmi les groupes les plus tendances de Corée, notamment grâce à une omniprésence dans le paysage (et les enceintes) séoulites, ainsi qu’une multiplication rapide des partenariats commerciaux entre RIIZE et des entreprises de renom, de domaines bien différents – la banque Woori Bank, l’empire tentaculaire Kakao, les enseignes de vêtements Musinsa et National Geographic ou encore la maison française Louis Vuitton, parmi bien d’autres.

Mais rapidement, un scandale éclate et divise la communauté de fans…

Le hiatus de Seunghan

En novembre 2023, des photos volées à Seunghan, datant de sa période en tant que trainee (NdlR : apprenti idol), sont dévoilées sur les réseaux sociaux. Nous y voyons le jeune homme en compagnie de sa petite-amie de l’époque sur certains clichés, et une cigarette à la main sur d’autres. Cela suffit malheureusement à mettre le feu aux poudres ; certains fans voient rouge et exigent l’éviction immédiate de l’artiste. SM Entertainment prend alors immédiatement des mesures punitives, et décide de mettre le jeune homme en pause jusqu’à nouvel ordre…

Seunghan ©SM Entertainment

Cette décision peut paraître complètement absurde aux yeux du public occidental, tant la demande est démesurée face aux reproches à l’encontre de Seunghan. Elle s’explique néanmoins par le fait que la relation parasociale entre les artistes K-Pop et leurs fans est unique en son genre, poussée à l’extrême par les maisons de disques et malheureusement propice à toutes les dérives. Si certains se contentent de « stan » un groupe, c’est-à-dire de suivre ses activités de près pour ne louper aucune annonce d’album ou de concert, d’autres prennent la relation de proximité instaurée par les artistes trop au sérieux et s’approprient ceux-ci comme on le ferait avec un banal produit de consommation. C’est ce qui explique notamment l’impossibilité pour les idols en Corée de s’afficher en train de fumer ou d’annoncer publiquement une relation amoureuse : ils doivent maintenir leur image coûte que coûte, même s’ils doivent sacrifier leur vie privée.

Il s’agit là d’une différence culturelle majeure qui rend la K-Pop mystérieuse (ou ringarde, voire lunaire) aux yeux du grand public, mais continue de fasciner et de fédérer des fans, notamment en Asie où les mœurs demeurent bien plus conservatrices qu’en Occident. Un mode de pensée largement en adéquation avec SM Entertainment, une entreprise en activité depuis près de trente ans.

Derniers rebondissements

Pendant que le fandom a continué de se déchirer sur l’avenir de Seunghan dans le groupe, RIIZE a poursuivi ses activités de manière tout à fait normale pendant des mois. Première victoire dans une émission télévisée, première date de concert en Europe (Music Bank d’Anvers, avril 2023), première tournée internationale, premier anniversaire de carrière… Seunghan a manqué toutes les dates-clé de RIIZE sans que la moindre nouvelle ne soit donnée de la part de Wizard Production. Le 2 octobre 2024, l’artiste n’a même pas eu droit à la moindre mention de son anniversaire, ce qui est de coutume pour n’importe quel artiste K-Pop.

Les fans s’interrogent alors, et la colère latente des dix derniers mois gronde de nouveau. La majorité d’entre eux considère la pause punitive comme ayant trop duré, et exige des réponses de SM Entertainment. Mais le silence perdure…

Le 11 octobre, coup de tonnerre : deux rebondissement surviennent à quelques heures d’intervalle. Le média coréen SWAY annonce d’abord le départ définitif de Seunghan, de manière abrupte. Les fans, dont beaucoup réclamaient le retour, sont véritablement sous le choc. Mais rapidement, SM Entertainment sort de son silence et dévoile finalement que Seunghan sera bel et bien de retour dans le groupe. Pour les BRIIZE (NdlR : fans du groupe), le combat est enfin gagné après des mois passés à errer dans le brume. Une date est même donnée : celle du 9 novembre, à l’occasion d’une prestation de RIIZE au Japon.

Les sept membres de RIIZE en 2023 ©SM Entertainment

Mais deux écoles continuent de s’affronter dans le fandom depuis l’annonce du retour de Seunghan : les « pro OT7 », c’est-à-dire les fans qui souhaitant voir la formation originelle poursuivre ses activités à sept membres, et les « pro OT6 », qui souhaitent l’éviction du jeune homme. La décision de faire revenir l’artiste après dix mois de pause n’est donc pas au goût de tout le monde.

Campagne de harcèlement

Il existe dans la K-Pop des personnes que l’on surnomme « akgae » pour « akseong gaein fan » (악성개인팬). Ces « fans malveillants » ne soutiennent qu’un seul membre au sein d’un groupe K-Pop, ne se souciant cependant ni de son avis, ni de son bien-être (ou de celui de quiconque). Seule compte la relation parasociale entre l’artiste convoité et l’akgae, et ce fanatisme de l’extrême appelle à toutes les folies.

La partie « pro OT6 » du fandom de RIIZE se compose en grande partie d’akgae ; ces personnes sont donc prêtes à tout pour mettre en avant l’objet de toutes leurs convoitises, et surtout à mettre à la porte un jeune homme pris dans la tourmente, dont l’image est mise à mal par un scandale. Scandale créé par ces mêmes personnes, si vous avez bien suivi jusque-là…

Ainsi, les « pro OT6 » s’organisent rapidement pour manifester leur mécontentement auprès de SM Entertainment et exigent à nouveau le renvoi de Seunghan. Une campagne de cyber-harcèlement débute alors, et la maison de disques se retrouve vite envahie de centaines de couronnes de fleurs habituellement utilisées pour exprimer ses condoléances lors de funérailles.

Fleurs mortuaires devant les locaux de l’agence SM Entertainment ©joonscastle via X

Le message est clair : ces « fans » ne souhaitent plus le renvoi, mais la mort de Seunghan. Si ce déploiement de violence inouï a pu avoir lieu, c’est en partie parce que la maison de disques n’a pas tapé du poing sur la table, alors même que Wonbin a lui-même exprimé sur le réseau social Weverse que le retour de Seunghan n’a été possible qu’à la suite d’un effort collectif mené par les membres du groupe en personne. Les « pro OT6 » prouvent donc leur désintérêt total pour l’avis du groupe, et qu’ils n’agissent que dans un intérêt purement égoïste. Une question brûle alors toutes les lèvres : de qui sont réellement fans ces personnes ?

Malheureusement, le harcèlement et les menaces des « pro OT6 » paient : le 13 octobre 2024, Wizard Production (division de SM Entertainment en charge des activités de RIIZE) cède et annonce le départ, cette fois définitif, de Seunghan. Au même moment, ce dernier confirme également « sa » décision dans une lettre postée sur Weverse, expliquant qu’il ne supporte pas de voir le groupe souffrir par sa faute. Ce revirement complet de situation, seulement deux jours après la nouvelle tant attendue de son retour, brise les rêves d’un artiste et les espoirs de tout un fandom.

Vous l’aurez compris, cette dernière semaine a été un véritable tour de montagnes russes pour les BRIIZE, qui sont passés par toutes les émotions – dégoût, colère, joie, tristesse. Et ce n’est pas la première fois que SM Entertainment inflige ce genre de situation à ses auditeurs et ses artistes.

Redite du passé

Si le cas Seunghan est unique par la manière dont a été gérée son départ de RIIZE, le jeune homme n’est malheureusement pas le premier à subir un tel traitement de la part de sa maison de disques et des fans de son groupe. Nous pouvons citer par exemple Wonho qui a quitté MONSTA X en 2019 à la suite de rumeurs de consommation de stupéfiants. Même si l’artiste a été prouvé innocent de tout crime, le fait que le scandale ait « entaché l’image du groupe » a malheureusement été suffisant pour sonner l’heure de son départ. 

Mais beaucoup d’affaires médiatiques de traitements injustes dans la K-Pop sont recensées, particulièrement chez SM Entertainment. Tout d’abord l’affaire TVXQ! qui a fait trembler l’industrie et scindé le groupe en deux, après que trois membres (Jaejoong, Yoochun et Junsu) ont porté plainte pour « contrats esclaves » – un terme largement usité dans la K-Pop pour parler de contrats à l’avantage des maisons de disques, qui nuisent aux droits des artistes. 

Ensuite les nombreux problèmes auxquels a fait face Super Junior depuis ses débuts en 2005. Racisme décomplexé envers le membre chinois de l’équipe Hangeng, protestations sans précédent pour empêcher l’intégration des membres Henry et Zhoumi (toujours sur fond de pure xénophobie), boycott du groupe à la suite du mariage de Sungmin…

Et il ne s’agit là que d’un échantillon des déconvenues de l’agence au fil des années, dont elle peine encore à se dépêtrer (ou qu’elle a laissé mourir avec le temps). Le cas de RIIZE et Seunghan vient de mettre un coup de pied dans la fourmilière ; il remet sur le devant la scène toutes les actions que l’agence n’a pas su mener à bien, et donc les artistes qu’elle a manqué de protéger de la virulence des fans les plus extrémistes. L’histoire se répète inlassablement… 

À qui le pouvoir ?

Dans une agence aussi traditionnelle que SM Entertainment, il est difficile de comprendre comment de tels scandales arrivent encore à éclater. Les mesures drastiques imposées aux artistes s’avéreraient-elles inefficaces ? Ou l’agence donne-t-elle trop de crédit aux ragots jugés « sans importance » par la majorité ? Les deux pistes sont viables.

Ce qui est certain, c’est que la maison de disques continue de prêcher des valeurs conservatrices qui vont à l’encontre de l’évolution des mœurs, même coréennes. Car si les « pro OT6 » semblent nombreux, ces personnes ne seraient en réalité que quelques centaines, avec simplement trop de temps libre et une passion dévorante pour le harcèlement de masse.

Face à cette communauté plus que discutable – que SM Entertainment continue pourtant de suivre à la lettre – se trouvent pourtant des millions de fans à travers le monde, soudés comme jamais pour rendre justice et faire de Seunghan l’idol souriant sur scène qu’il aurait dû rester dès le départ.

Conséquences néfastes et boycott

Si le cas Seunghan n’est pas un cas d’exception dans l’industrie K-Pop, d’autres artistes avant lui ayant vu leur carrière détruite pour les mêmes « chefs d’accusation », la tournure exceptionnelle que prend l’affaire pourrait faire de l’histoire un cas d’école.

Les fans « pro OT7 », soutenus par toute la communauté K-Pop internationale, sont révoltés comme jamais par les prises de décision catastrophiques de SM Entertainment. Ils ont ainsi entamé une campagne pour faire réagir l’agence. Car depuis le départ, la maison de disques justifie tous ses choix par le fait qu’elle écoute les fans. Mais pas n’importe lesquels, selon les « pro OT7 », uniquement la minorité agressive.

Depuis l’annonce du départ de Seunghan, de nombreux hashtags ont été mis en tendances sur les réseaux sociaux pour dénoncer toute cette affaire. On y lit notamment « SM déchet », « Ramenez Seunghan » ou encore « RIIZE est sept », parmi d’autres slogans dénonciateurs. Un boycott de masse a également été mis en place par les fans, mais l’envergure de cette histoire sordide est telle, que plus de deux cents boutiques spécialistes de la K-Pop à travers le monde ont rejoint les rangs de la révolte. Les magasins ont ainsi annoncé ne plus commander de produits à l’effigie de RIIZE (merchandising, albums…) jusqu’à nouvel ordre, et certains ont même annulé des commandes de stocks en cours, ainsi que les pré-commandes de nouveaux items. En France notamment, les leaders du marché K-Pop Musica et Taiyou ont manifesté leur solidarité à l’encontre de RIIZE et Seunghan.

Depuis l’après-midi du vendredi 18 octobre et jusqu’au dimanche 20 octobre, des fans sont réunis devant les locaux de SM Entertainment dans l’espoir de faire revenir Seunghan au sein de RIIZE. Cette fois, aucune fleur mortuaire ou message lugubre à l’horizon, uniquement des fans qui témoignent leur amour aux sept idols, leur déception à Wizard Production et l’espoir d’un avenir meilleur pour la profession.

RIIZE ©SM Entertainment

À l’heure où nous écrivons, nul ne sait ce que donnera le soulèvement des fans contre la célèbre maison de disques. Seunghan sera-t-il réintégré dans le groupe ? Évincé définitivement ? Ou voué à une carrière solo dans l’agence qui ne lui a laissé aucune chance ? Difficile de se prononcer, mais beaucoup espèrent un dénouement heureux pour rendre justice au jeune homme, et imposer des standards plus justes dans une industrie aussi brillante que destructrice.

L’équipe souhaite apporter tout son soutien aux sept artistes, ainsi qu’à tous les BRIIZE qui aiment RIIZE.


Info K! World

Comme vous l’avez remarqué, le groupe RIIZE est à l’honneur du N°41 de notre parution bimestrielle. Le magazine est sorti en date du 30/08/2024, sans connaître la tournure des événements actuels au moment de la publication. Il sera retiré des ventes le 25/10/2024 pour laisser place au N°42 comme prévu.
Même si aucune photo récente de RIIZE ne comporte Seunghan, comme c’est le cas en couverture, l’équipe avait tout de même tenu à le faire figurer dans les pages et les photocards DIY.
Enfin, l’équipe de rédaction tient à rappeler qu’aucun bénéfice perçu par la vente du magazine ne revient à SM Entertainment ou Wizard Production.